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Les communautés de pratique, une avenue à explorer

Résumé

L’expression «communauté de pratique» peut sembler évidente. Mais elle recouvre une réalité complexe qui évolue rapidement. L’objectif de ce billet est de tenter de cerner ce phénomène mouvant à l’aide d’exemples et d’écrits récents. Nous apprendrons notamment que la constitution de connaissances partagées et même d’un langage commun (voire même d’une identité!) se situent au cœur de la démarche de formation d’une communauté de pratique. Nous verrons également que les communautés de pratique ont beau pouvoir émerger de tous les secteurs d’activité professionnelle et de la vie communautaire ainsi que de secteurs artistiques institutionnalisés ou marginaux (qu’ils fassent appel ou non aux nouvelles technologies), elles ont partie liée à la culture numérique. 

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Image : Pixabay

Introduction

La pandémie nous a fait réaliser, si nous ne le savions pas déjà, à quel point il est important de pouvoir travailler en équipe pour se développer tant sur le plan personnel que professionnel. En même temps, elle fut l’occasion de nous approprier des outils permettant de travailler de manière collaborative, à distance (que ce soit en direct ou en différé), pour compenser l’impossibilité de le faire « en présentiel ». Et nous avons aussi pu expérimenter les formations en ligne ainsi qu’un congrès « virtuel » … Cela nous amène à réfléchir au fait que nous pourrions mieux exploiter les NTIC pour nous aider à partager nos connaissances à l’intérieur de la communauté des employés et bénévoles des TCA. Nous avons déjà le groupe privé Facebook qui nous permet d’échanger sur divers sujets en faisant appel à tous pour des avis et des retours d’expérience. Nous avons aussi pu faire l’expérience de discussions par Zoom en juin et en décembre dernier, afin de décanter les émotions et les tensions vécues par rapport aux épreuves traversées.

L’efficacité de telles rencontres par visio-conférence est bien réelle même si elles ne permettent pas la même qualité de contact et d’empathie que les rencontres en personne. Les échanges par chat dans Facebook aussi sont bien utiles, mais on perd rapidement le fil… Or, il existe des regroupements qui se forment autour de sujets qui intéressent vivement leurs membres, que ce soit une passion commune, une occupation professionnelle, ou une préoccupation partagée. Parfois elles émergent de manière spontanée à partir de l’initiative d’individus plus motivés (qui lancent un groupe Facebook justement ou qui démarrent un forum de discussion par exemple). D’autres fois elles sont stimulées par une organisation qui souhaite encourager ses employés à développer leurs connaissances et leurs compétences dans leur domaine. Dans les deux cas, on les appelle des «communautés de pratique». On peut dire que le réseau des agents de développement culturel numérique dont je fais partie et qui travaille par Slack en constitue une. J’ai souhaité explorer cette réalité qui est assez vivante au Québec et qui représente une avenue intéressante à emprunter pour les médias communautaires où plusieurs fonctions sont jouées par différentes personnes, réparties sur un vaste territoire, et qui auraient beaucoup à apprendre les unes des autres.

L’expression «communauté de pratique» peut sembler évidente.  Mais elle recouvre une réalité complexe qui a déjà une longue histoire et qui a connu une évolution marquée au XXIe siècle, avec la démocratisation de l’accès à Internet, au web et aux outils numériques permettant un travail collaboratif dans cet environnement connecté.
En même temps que les communautés de pratique se multipliaient et prenaient leur essor, des chercheurs se sont penchés sur ce phénomène qui intéressait les entreprises privées, les sociétés d’État, les OBNL, l’administration publique et les milieux de l’innovation entrepreneuriale et sociale. 
Le milieu de l’éducation s’y intéresse également. Et pour cause! La clé de voûte des communautés de pratique, l’élément qui se situe au centre et au faîte de leur édification, et qui leur permet de tenir ensemble malgré les aléas du temps, c’est leur fonction épistémique ou cognitive. C’est-à-dire qu’elles ont comme caractéristique et vocation de permettre la constitution de nouvelles connaissances,  pertinentes du point de vue des situations vécues par les membres en rapport avec la pratique qu’ils ont en commun et qui justifie leur implication au sein de ce regroupement.
Nous verrons que les organisations qui parrainent la mise sur pied de communautés de pratique tout comme les membres qui y sont impliqués ont de bonnes raisons de consacrer du temps, des ressources et de l’énergie afin de faire vivre cette organisation qui a de l’autonomie par rapport à la société des êtres humains dont elle fait pourtant partie.
Et ce qui me motive particulièrement à vous en parler est justement ce potentiel des communautés de pratique à « faire monde », c’est-à-dire leur capacité de contenir une version en modèle réduit de ce qu’est une société humaine. Et cela est d’autant plus justifié en relation avec mon mandat qui est d’accompagner les TCA dans leur transformation numérique. Car les médias aussi sont des acteurs sociaux importants qui ont le pouvoir de faire exister le monde pour les gens qui s’y réfèrent.
L’hypothèse qui sous-tend ce texte est donc que les médias communautaires tout comme les communautés de pratique constituent des laboratoires intéressants pour expérimenter notre rapport à la culture numérique, car ils sont chacun à leur façon un creuset où s’élabore le « milieu de culture» d’où émerge la société que nous nommons « notre monde ».

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Image: Mindforest (Communautés de pratique et RSE: quels bénéfices en attendre?) [cliquez sur l'image pour y accéder]

 1. Qu’est-ce qu’une communauté de pratique?

Pour déterminer ce en quoi consiste une communauté de pratique, nous verrons d’abord quelques (trois) définitions. Puis nous reviendrons à l’origine historique de ce phénomène, avant de tenter de cerner les objectifs de ces associations qui sont censées être volontaires et qui sont initialement informelles, mais qui tendent de plus en plus à être démarrées intentionnellement par des organisations qui y voient une valeur ajoutée pour leur développement. Ce sera l’occasion d’aborder certains enjeux qui sont associés à cette réalité qui est de plus en plus répandue, au Québec en particulier. Nous examinerons certaines des caractéristiques essentielles des communautés de pratique. Nous verrons quelles sont leurs limites (leurs contours) et comment elles évoluent à travers le temps. Il ressortira de cette première partie que la constitution de connaissances partageables et effectivement partagées s’avère une des principales raisons d’être des communautés de pratique, qu’elles soient informelles ou pilotées. 

 1.1 Définitions de communauté de pratique

Je propose de commencer par examiner la définition la plus utilisée. C’est celle qui est donnée à l’article «Communauté de pratique» dans Wikipédia, et qui nous vient d’un ouvrage de référence co-écrit par Étienne Wenger, R. A. McDermott et W. M. Snyder en 2002.

La définition de référence par Wenger, McDermott et Snyder

Si on en croit le rapport de l’INSPQ qui constitue un document de référence en la matière, la définition de Wenger, McDermott et Snyder (2002) est la plus répandue :

« Les communautés de pratique sont des groupes de personnes qui se rassemblent afin de partager et d’apprendre les uns des autres, face à face ou virtuellement. Ils sont tenus ensemble par un intérêt commun dans un champ de savoir et sont conduits par un désir et un besoin de partager des problèmes, des expériences, des modèles, des outils et les meilleures pratiques. Les membres de la communauté approfondissent leurs connaissances en interagissant sur une base continue et à long terme, ils développent ensemble de bonnes pratiques1. »

L’intérêt de cette définition vient du fait qu’elle est explicite quant au mode de regroupement, mais elle est assez flexible pour inclure différentes communautés de pratique. La formule voulant que les personnes formant la communautés sont «tenus ensemble» renvoie à l’importance d’une certaine cohésion au sein du groupe. Mais le fait que les membres se rencontrent «en personne» est important mais pas absolument indispensable. Ils ne sont pas tous obligés de se rencontrer en même temps non plus. C’est plutôt en relation avec la durée de leur collaboration plus ou moins étroite que se définit l’existence d’une communauté de pratique. Au fil du temps la composition du groupe peut changer mais le groupe demeure.

Si on veut résumer plus brièvement ce dont il s’agit on peut se doter d’une définition plus courte.

Définition abrégée

J’ai trouvé celle-ci : une communauté de pratique serait « un groupe ayant une structure informelle, où le comportement des membres se caractérise par l’engagement volontaire dans la construction et le partage des connaissances dans un domaine donné. » (Cohendet, Roberts, Simon, «Créer, implanter et gérer des communautés de pratique, Gestion, HEC, Mtl, 2010, Vol. 35, no. 4, pp. 31-35.)

On le constate, le caractère volontaire de l’engagement est ce qui est ici souligné. Et elle met en évidence le caractère informel de l’organisation qui permet aux membres de construire ensemble des connaissances.

Une définition alternative

Pour faire ressortir certains concepts clés, nous utiliserons une définition alternative, celle de Parot et al2. Citées dans Snoek3,

« Groupe d’individus reliés de manière informelle et fonctionnant en réseau, fédérés par des centres d’intérêt communs, par des projets similaires, coopérant et échangeant leurs savoirs pour créer une valeur collective utile pour chacun, partageant des ressources communes, collaborant dans un processus d’apprentissage collectif, combinant à la fois une culture commune et un système cohérent d’intérêts individuels. »

Source : Lise Renaud, Monique Caron-Bouchard, Julia Gaudreault-Perron et Hélène Gayraud, « Communauté de pratique dans le domaine de la promotion de la santé : analyse du sentiment d’appartenance et des pratiques de leadership », Commuiquer, Vol 19, 2017, pp. 29-45. http://journals.openedition.org/communiquer/2147

Ce que cette dernière définition apporte, c’est l’importance de la création d’une valeur collective à travers un processus d’apprentissage également collectif. Et on ne manque pas de souligner qu’une culture commune est aussi développée cheminant sur cette voie.

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 1.2 Les objectifs et les enjeux pour les communautés de pratique

Objectifs

Ont-elles un objet et un objectif déterminé? Ou peuvent-elles explorer une finalité floue et leurs motivations peuvent-elles changer avec le temps comme cela peut-être le cas des «sociétés ouvertes0»?

Les objectifs pour les membres

  • Amélioration de l’expérience de travail

Exemples : Renforcement de la cohésion des collaborateurs.

  • Partage des connaissances et des ressources

Favoriser la circulation des savoirs tacites (https://www.usherbrooke.ca/ssf/veille/perspectives-ssf/numeros-precedents/decembre-2013/le-fin-mot-communaute-de-pratique/)

Échanger des outils des techniques, des documents pertinents

  • Formation et développement des compétences

Soutien dans l’implantation de nouvelles pratiques.

  • Facilitation du développement professionnel

Développement d’un langage commun pour le domaine d’expertise.

Nous avons vu que le domaine peut être une occupation professionnelle, une passion partagée ou une préoccupation commune.

En somme « l’objectif de faciliter l’échange et le partage de l’information et des savoirs demeure un des plus pertinents. L’innovation, l’excellence, le développement des compétences, l’apprentissage sont aussi au nombre des objectifs. »

Les objectifs pour l’organisation

  • Amélioration des résultats organisationnels

Exemples : coordination, standardisation et synergie entre les différentes unités de travail.

  • Développement des capacités organisationnelles

Capacité pour le développement de projets liés au développement de connaissances.

  • Contrer l’amnésie organisationnelle

Constitution d’une base de connaissances à partir des apports cumulatifs de l’ensemble des membres participant au fil du temps.

  • Briser les silos et encourager la concertation

Au sein d’une organisation ou d’un corps de métier, en fonction des départements ou des régions, il y a une certaine difficulté à passer d’un cercle à l’autre, alors que de nombreux enjeux et aspects du travail ou des activités sont similaires ou se recoupent sous certains angles.

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 Enjeux

Outre les objectifs rationnels qui sont liés à la recherche naturelle des bénéfices que peut nous apporter l’effort investi en tant qu’individu ou en tant qu’organisation, il y a des objectifs existentiels qui renvoient aussi à la motivation que les acteurs peuvent avoir à s’engager, mais qui situent la raison derrière cette volonté davantage au plan de la valeur émotionnelle ou affective qu’au plan des gains en termes d’utilité. C’est pourquoi ces objectifs plus profonds même si moins évidents peuvent être considérés comme des enjeux. Car ils ont une portée plus cruciale. Sans eux, le sens ferait défaut.

Pragmatiques

Harmonisation des pratiques

Connaître les avancées récentes et les meilleures pratiques.

Échange et partage de bonnes pratiques : « partage des bons coups, des réalisations importantes, et des situations vécues»

Être une communauté de pratique

Comme on le constate, l’intérêt d’une communauté de pratique réside d’abord dans le fait qu’elle permet de faire en sorte que les liens qui nous unissent à d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable à la nôtre cessent d’être une abstraction. Nous ne faisons pas qu’appartenir à une même catégorie de gens, à laquelle des instances administratives pourraient accoler une même étiquette, mais nous appartenons, au moyen de dispositifs de communication partagés, à un même contexte.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_de_pratique#cite_ref-4

Grands traits de la communauté selon la théorie de l’apprentissage social de Wenger « Mais revenons d’abord à ce qui caractérise la communauté … (Prés. F. Henri)

Participation => apprendre => faire => construction de l’identité

Réseau CdP Q-CROC - identité et entraide

Éthiques

L’identité à co-créer

L’enjeu pour les communautés de pratique est de « créer de la valeur dont les membres et l’organisation vont profiter » (F. Henri, p. 9)

Se sentir connectés à notre domaine de pratique.

L’enjeu du sens à inventer ensemble en produisant des connaissances

Dualité participation / réification : « Dire que la participation et la réification forment une dualité signifie que ces deux dimensions sont articulées dans une tension dynamique. » (Chanal, p. 6)

Un des apports de l’analyse qu’Étienne Wenger et des co-auteurs ont proposée des communautés de pratique est d’avoir montré le caractère dynamique de ces regroupements informels qui perdurent à travers le temps, en raison du potentiel qu’ils ont d’apporter du sens à leurs participants. Or, cela (ce caractère évolutif) découle de la compréhension que l’harmonie recherchée est parfois atteinte à travers la résolution de conflits. L’existence de ces conflits fait partie de la vie de la communauté comme de toute société et cela s’explique en partir par la résistance de certains à assumer une part des responsabilités associées au bon fonctionnement de la communauté de pratique. Par exemple, il faut bien que certaines personnes s’investissent davantage que d’autres dans en contribuant plus directement à la production de connaissances. Concrètement celles-ci doivent pouvoir être partagées ce qui suppose de les mettre en forme matériellement au moyen de documents qui pourront être manipulés. Ceux qui bénéficieront de ces documents ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui les ont confectionnés. Les auteurs des synthèses oeuvrent souvent dans la solitude et cela les prive du loisir de participer à des activités moins astreignantes de la communauté de pratique (en raison du temps ou de la concentration que cela requiert).

Davel et Tremblay, p. 11

L’acte communautaire consiste à gérer ces tensions : « L’acte communautaire est donc un acte de créativité qui consiste, pour les communautés et leurs membres, à inventer des façons de gérer ces tensions. » (Idem).

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Transition : former communauté c’est aussi être ancré dans un contexte

Tout cela est basé sur Wenger, 1998. Soit le lien entre communautés de pratique et la théorie sociale de l’apprentissage, ainsi que de l’action située.

C’est pourquoi les types des communautés de pratique se définissent davantage en fonction des contextes.

 1.3 Les principes clés de la communauté de pratique

Si l’objectif d’une communauté de pratique est d’amener une amélioration des performances au point de vue de l’acquisition des connaissances pour les personnes qui en font partie (ce qui bénéficie en retour à l’organisation à laquelle ils sont associés et qui les soutient dans la mise en place des dispositifs qui leur permettront d’avoir des échanges informels et de se transférer des connaissances), il est légitime de se demander qui peut devenir membre et comment une communauté de pratique peut fonctionner en parallèle avec l’organisation qui la soutient (et a fortiori si elle n’est soutenue par aucune organisation). Nous reviendrons sur la question des contours de la communauté de pratique, et sur son mode d’existence (à travers le temps) au point suivant. Nous approfondirons ainsi l’examen de certaines de leurs caractéristiques, après avoir identifié les principaux types de communautés de pratique, et avant d’en présenter certains exemples.

Mais si nous voulons bien comprendre en quoi consiste une communauté de pratique, il nous faut encore identifier les composantes principales, ainsi que les facteurs essentiels qui permettent à une communauté de pratique d’exister. Ensemble, ils constituent ce que nous pouvons appeler les principes clés ou les éléments constitutifs d’une CdP.

Les 3 composantes principales d’une communauté de pratique

Une communauté de pratique requiert que les acteurs qui y agissent soient «tenus ensemble par un intérêt commun» nous disait la définition. Ce centre d’intérêt qui constitue l’élément central de la communauté de pratique est aussi ce qui lui procure son identité. C’est ce qu’on appelle le domaine.

Un domaine commun

Le domaine est l’élément liant d’une communauté de pratique, le pôle d’attraction qui fédère les efforts de tous les membres et leur permet de constituer une communauté. Il peut s’agir d’un champs d’activité professionnelle, d’une domaine d’activité désintéressé qui passionne les participants, ou d’une sphère de préoccupation qui les pousse à s’associer pour résoudre les problèmes qui y sont reliés (comme les injustices sociales et environnementales, se manifestant à travers l’existence de déserts alimentaires ou de déserts informationnels).

La vie de la communauté

Bien entendu la communauté elle-même est la composante la plus indispensable d’une communauté de pratique. On parle ici, évidemment, des membres qui la composent justement. On peut dire qu’il s’agit du corps de la CdP. Comme lorsqu’on parle du corps enseignant, ou d’un corps de métier. Il s’agit donc de l’ensemble des personnes physiques qui sont susceptibles d’être actives au sein de ce regroupement en lien avec un domaine donné. Mais pour que ce corps collectif ait une existence, il importe que ses membres aient des relations, soient connectés et puissent communiquer et interagir, ce qui constitue la vie de la communauté. On parle ici des échanges qu’ils alimentent, du dialogue à plusieurs voix qu’ils entretiennent, des habitus et processus de collaboration qu’ils développement et cultivent par leurs actions.

La pratique partagée

Ces actions, dont une bonne part ont trait à la communication et au partage d’informations, par l’intermédiaire de documents, de circuits de transmission de données, et d’interfaces pour la présentation et la manipulation de contenus, constituent une partie de la pratique de ces communautés. L’autre partie, ce sont leurs pratiques en relation directe avec leur domaine. Dans la mesure où une communauté de pratique a pour vocation à former ses membres à l’art d’apporter du soutien à d’autres personnes, il y a une certaine itérativité entre leurs pratiques d’entraide en tant qu’acteurs de la communauté de pratique et leur pratique professionnelle en tant que facilitateurs, médiateurs, animateurs, soutien à l’apprentissage ou autres. Autrement dit, la pratique des communautés de pratique tient en partie à l’art de se constituer en tant que communauté ou micro-société développant son propre langage, ses habitus et ses modes de coopération (notamment pour produire des connaissances partagées) et de conservation des connaissances en question, et en partie à son pouvoir de se former en tant que professionnels d’une domaine, d’approfondir leur maîtrise du sujet ou de l’art qui les passionne, ou encore de comprendre les tenants d’une problématique afin de pouvoir mieux intervenir au niveau local ou sur le plan discursif dans les débats publics sur ces questions.

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Les facteurs essentiels ou « dimensions » d’une communauté de pratique

Les dimensions requises pour constituer une communauté de pratique selon Wenger font écho aux composantes. Au domaine est associé l’entreprise conjointe. À la vie de la communauté est relié l’engagement mutuel. Au corpus de connaissances et de compétences dont les membres de la communauté de pratique sont porteurs et qu’on appelle la pratique (un savoir appliqué et situé), on peut rattacher le répertoire partagé. Celui-ci serait comme la recueil des bonnes pratiques recueuillies au coures de l’existence de la communauté de pratique et qui témoigne de la pertinence de cette dernière en fournissant un dépôt mémoriel réactivable au besoin par les membres, notamment à l’occasion de l’intégration de novices.

L’engagement mutuel

« L’engagement mutuel est la source d’une cohérence (on pourrait dire de structure sociale) dont une des missions de la pratique est précisément de l’entretenir. » (Chanal, p. 7) La complémentarité des connaissances est une clé car elle exige que les participants soient diposés à et trouvent une voie pour connecter leurs compétences. Et cela est même vrai lorsque les compétences les mêmes car c’est la capacité à être aidé et à aider d’autres en retour qui constitue le principal élément fédérateur de la communauté. « L’engagement mutuel suppose ainsi un rapport d’entre-aide entre les participants, nécessaire au partage de connaissances sur la pratique. » (Idem, Voir tableau p. 8).

L’entreprise commune

La seconde dimension, celle de l’entreprise commune ou conjointe requiert, elle aussi, certains éclaircissements. Le mot entreprise ne doit pas être entendu ici, au sens d’une compagnie dans laquelle on investit, mais plutôt au sens d’un projet de longue haleine que l’on entreprend avec d’autres, et dans lequel on s’investit, parce qu’on se reconnaît une responsabilité. Lorsqu’on parle d’entreprise dans ce contexte, c’est au sens de activité dans laquelle on s’engage. C’est un projet par rapport auquel on passe à l’action. On entreprend de faire quelque chose. Cet objectif est l’objet de l’entreprise. Ici il s’agit de se doter d’une identité commune, acquérir la conscience d’un métier ou l’adoption d’une nouvelle direction (règles et directrice). Le fait qu’il y ait un corps d’habitudes qui se soient prises et dont certaines ont été formalisées en règles de fonctionnement par exemple participe de la constitution de la communauté de pratique de manière importante et cela en étroite relation avec l’engagement mutuel, comme le dénote la place centrale de cette responsabilité assumée même si le contrat qui unit les membres est uniquement moral. « Le fait de négocier des actions communes crée des relations de responsabilité mutuelle entre les personnes impliquées. » (Chanal, p. 8)

Répertoire partagé

Si l’entente qui unit les membres est seulement en partie inscrite en toutes lettres dans des règles explicites, et bien que l’objectif commun soit moins important pour la communauté de pratique que l’ensemble des actions qui témoignent de l’interconnexion réelle des membres, formant en somme une collectivité vivante et se donnant ses propres buts, il est tout de même évident qu’il sera utile pour bien coordonner les activités ou permettre à chacun d’y contribuer au meilleur de ses capacités, de produire des repères qui pourront aider à rendre tangible la vie de cette communauté pouvant se connecter par des outils technologiques et/ou conventionnels. Il peut s’agir de documents officiels, de concepts, de matériel de formation, de références…

Définition du répertoire partagé

« Au cours du temps, l’engagement au sein d’une pratique commune crée des ressources qui permettent la négociation de significations. Ces ressources forment le répertoire partagé d’une communauté qui inclut des supports physiques tels que des prototypes ou des maquettes, des routines, des mots, des outils, des procédures, des histoires, des gestes, des symboles, des concepts que la communauté a créés ou adoptés au cours de son existence et qui sont devenus peu à peu partie intégrante de sa pratique. » (Chanal, p. 8)

Ces concepts, ces symboles, ces récits et protocoles ou modèles pour la production de documents ou d’artefacts ont une valeur plus grande pour la communauté de pratique s’ils présentent une ouverture à des interprétations complémentaires. La négociation du sens se rejoue donc à chaque action, ce qui réactualise le ferment même de la communauté de pratique, la volonté de s’entendre en vue d’une fin.

« C’est pourquoi le répertoire partagé des communautés de pratique ne doit pas être compris comme une sorte de plate-forme servant de base à un consensus collectif, mais comme un ensemble de ressources mobilisables pour la négociation des significations dans les situations d’interactions. » (Chanal, p. 9)

Pour résumer les trois dimensions de toute communauté de pratique sont l’engagement mutuel, l’« entreprise» commune et le répertoire partagé.

Ces dimensions de la communauté de pratique constituent en fait, selon la lecture que France Henri fait de Wenger, « [t]rois facteurs [qui] contribuent à faire en sorte que la pratique soit partagée par les membres et [ils] constituent la source de cohérence pour les membres de la communauté. » (p. 5)

Relions les composantes et les dimensions fondamentales d’une communauté de pratique

Mais Davel et Tremblay proposent de relier les dimensions et les composantes en les unissant en tant que principes clés, auxquels ils associent des questions clés. Comme nous l’avons vu le domaine peut être associé à la dimension dite de «l’entreprise conjointe». La question clé principale associée est la suivante : quelle est notre raison d’être? C’est donc la question du sens.

La communauté est reliée, vous serez d’accord, à l’engagement mutuel. La question clé associée est celle-ci : « Qui sommes-nous?» C’est donc la question de l’identité.

Le répertoire partagé est relié, en toute cohérence (dans la mesure où l’on considère que la connaissance et l’action sont indissociables), à la pratique. La question clé est « que savons-nous? ». C’est donc la question de la connaissance. Mais c’est aussi la question du comment vivre ensemble dans la mesure où le fait de former une micro-société capable d’amener ses nouveaux membres à une meilleure maîtrise de leur domaine de pratique est probablement ce qui requiert le plus de compétences dans tous les savoir faire à maîtriser en ce domaine.

Lire la suite : 2. Types, caractéristiques et exemples de communautés de pratique

Le cercle des Communautés de pratique et sa structure

Image : Victoria Martinez (Communauté de pratique) [Prezi 2019]

Cliquez sur l'image illustrant la structure d'une communauté de pratique d'un point de vue fonctionnel et qui est aussi le plan de la présentation de Victoria Martinez sur le sujet.

Accédez à la partie 3 (L'intérêt pour les TCA de former une communauté de pratique) [À venir]

Les outils pour constituer une communauté de pratique et les façons de fonctionner pour en monter une (partie 4 également à venir)

Rendez-vous à la Médiagraphie.

Revenir à la présentation de ce billet du blogue Avenumérique dans la section Actualités du site de la Fédé.

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0« Une société ouverte se caractérise par un gouvernement réactif, tolérant et dans laquelle les mécanismes politiques sont transparents. » Wikipédia, 29 janvier 2021 https://fr.wikipedia.org/wiki/...

1Wenger, E., McDermott, R. A., & Snyder, W. M., Cultivating communities of practice: a guide to managing knowledge, Boston, 2002. Cité dans Lyne Arcand, La communauté de pratique un outil pertinent : résumé des connaissances adaptées au contexte de la santé publique, INSPQ, p. 2. https://www.inspq.qc.ca/public...

2 Parot S., Talhi F., Monin J.-M., Sebal T. (2004). Les communautés de pratique. Analyse d’une nouvelle forme d’organisation & panorama des bonnes pratiques. Knowings et Pôle production Rhône-Alpes

3Snoeck, C. (2010, août). Communautés de pratique : susciter et maintenir l’interactivité. Communication présentée au Centre de recherche sur l’instrumentation, la formation et l’apprentissage, Université de Liège. 

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