Les communautés de pratique, une avenue à explorer pour les TCA
(la suite)
Lire la partie 1. Qu'est-ce qu'une communauté de pratique ?
Rappel de l'introduction
La pandémie nous a fait réaliser, si nous ne le savions pas déjà, à quel point il est important de pouvoir travailler en équipe pour se développer tant sur le plan personnel que professionnel. En même temps, elle fut l’occasion de nous approprier des outils permettant de travailler de manière collaborative, à distance (que ce soit en direct ou en différé), pour compenser l’impossibilité de le faire « en présentiel ». Et nous avons aussi pu expérimenter les formations en ligne ainsi qu’un congrès « virtuel » … Cela nous amène à réfléchir au fait que nous pourrions mieux exploiter les NTIC pour nous aider à partager nos connaissances à l’intérieur de la communauté des employés et bénévoles des TCA. Nous avons déjà le groupe privé Facebook qui nous permet d’échanger sur divers sujets en faisant appel à tous pour des avis et des retours d’expérience. Nous avons aussi pu faire l’expérience de discussions par Zoom en juin et en décembre dernier, afin de décanter les émotions et les tensions vécues par rapport aux épreuves traversées.
L’efficacité de telles rencontres par visio-conférence est bien réelle même si elles ne permettent pas la même qualité de contact et d’empathie que les rencontres en personne. Les échanges par chat dans Facebook aussi sont bien utiles, mais on perd rapidement le fil… Or, il existe des regroupements qui se forment autour de sujets qui intéressent vivement leurs membres, que ce soit une passion commune, une occupation professionnelle, ou une préoccupation partagée. Parfois elles émergent de manière spontanée à partir de l’initiative d’individus plus motivés (qui lancent un groupe Facebook justement ou qui démarrent un forum de discussion par exemple). D’autres fois elles sont stimulées par une organisation qui souhaite encourager ses employés à développer leurs connaissances et leurs compétences dans leur domaine. Dans les deux cas, on les appelle des «communautés de pratique». On peut dire que le réseau des agents de développement culturel numérique dont je fais partie et qui travaille par Slack en constitue une. J’ai souhaité explorer cette réalité qui est assez vivante au Québec et qui représente une avenue intéressante à emprunter pour les médias communautaires où plusieurs fonctions sont jouées par différentes personnes, réparties sur un vaste territoire, et qui auraient beaucoup à apprendre les unes des autres.
2. Types, caractéristiques et exemples de communautés de pratique
Maintenant que nous comprenons mieux ce en quoi consistent les communautés de pratique, ce à quoi elles servent et quelle est leur signification à la fois pratique et théorique (elles permettent la co-création et le développement de nouvelles connaissances en lien avec un domaine donné1), nous pouvons distinguer différents types de communautés de pratique. Puis nous présenterons des caractéristiques permettant d’analyser le mode d’existence des communautés de pratique afin de nous rapprocher d’une compréhension des conditions favorisant le succès de telles initiatives (contours ou limites, évolution ou genèse, pratiques et dispositifs associés). Suivra une illustration des formes variées qu’elles peuvent prendre et des divers secteurs d’activité dans lesquels elles peuvent émerger au moyen de divers exemples.
2.1 Les types de communautés de pratique
Pour identifier les principaux types de communautés de pratique, il existe diverses manières de les classer. La première est en fonction des champs d’activité justement. La seconde est en fonction de leur source ce qui a un lien avec l’intention qui a présidé à leur émergence ou à leur inauguration : s’agit-il de communautés de pratique spontanées, informelles et désintéressées, ou pilotées et visant un accroissement de la productivité des employés d’une organisation? Mais une autre manière de les distinguer par types, toujours en partant du principe que c’est le contexte qui est la clé pour comprendre les CdP, c’est en fonction de leurs finalités, ce qui fait penser à leur intention fondatrice, mais envisagée ici en rapport avec la façon dont elle se manifeste, soit à travers les différentes dynamiques liées à leur fonctionnement, à leur mode d’existence informel et à leurs opérations de diverses natures (organisation technique et gestion, création de lien social, constitution de connaissance partagées).
Classification en fonction du champ d’activité
Un article de la revue Gestion des HEC sur la mise en place de communautés de pratique nous informe de l’existence de différents types de communautés de pratique davantage en fonction de la nature des fonctions des membres.
Artisanale
Professionnelle
Expertise ou création
Virtuelle
Voir le tableau suivant.
Classification selon la source : spontanée ou pilotée
2 types principaux de communautés de pratique, en fonction de leur origine : spontanée ou pilotée.
On peut distinguer ensuite un type intermédiaire : les communautés de pratique soutenues.
Du côté des secondes qui s’appellent par euphémisme «intentionnelles», on distinguera deux degrés d’organisation : les communautés soutenues par une entreprise et celles qui sont structurées en vue d’un objectif déterminé (et qui disposent d’une hiérarchie et de règles pour leur fonctionnement plus efficace). L’injustice vient ici de fait que les communautés plus structurées sont aussi celles qui disposent davantage de moyens.
Il est clair que l’on peut parler aujourd’hui de communautés de pratique pilotées (par la direction de l’entreprise) qui se distinguent sur de nombreux points des communautés spontanées (qui émergent de manière autonome entre des membres ayant une passion commune).
Au départ il aurait été presque contradictoire de parler de communauté de pratique fondée par une entreprise. Mais l’expérience a montré que cela pouvait fonctionner. (Cohendet et al., op.cit). Il y a donc eu une évolution des manières de les démarrer et de les maintenir.
Spontanées
Pilotées
Spontanées vs pilotées (Cohendet et al.) ou intentionnelles (CEFRIO)
Le guide du CEFRIO qui sert de référence pour plusieurs milieux au Québec concernant les communautés de pratique concerne plus spécifiquement les communautés de pratique intentionnelles. C’est une façon plus élégante de parler des CdP pilotées. « ce sont des communautés de pratique intentionnelles au sens où elles s’inscrivent dans un axe de préoccupations important pour les organisations partenaires du projet. » (CEFRIO, p. 21) Comme on le voit les CdP conservent tout de même une certaine autonomie par rapport à l’organisation qui a souhaité leur existence et qui est désignée comme « partenaire », ce qui est une condition du succès de tels projets (Cohendet, op. cit.).
Le CEFRIO – qui a malheureusement été dissout fin 2019 (la publication du rapport annuel a été reprise par l’ATN) – étant orienté vers les manières d’utiliser le numérique à des fins de création de connaissances, il est naturel qu’il se concentre sur la formation de communautés de pratique virtuelles.
Classification en fonction des finalités
La signification principale de la communauté de pratique dépend de la nature de l’intention qui a présidé à son émergence (de source spontanée) ou à son inauguration (par décision d’une organisation).
C’est pourquoi la meilleure classification est probablement celle proposée par Wenger lui-même, soit relativement à leur visée initiale (soit le type de service qu’elle devait rendre à ses membres).
En effet, Wenger différenciait initialement les communautés de pratique en fonction de la finalité poursuivie : les communautés d’entraide, les communautés de connaissance, les communautés de pratiques exemplaires, et les communautés d’innovation. Ces dernières s’apparentent aux premières mais la coopération porte sur l’atteinte de résultats inédits.
D’aide et d’assistance
De pratiques exemplaires
Dédiée à la gestion des connaissances
D’innovation
(F. Henri, p. 6)
On peut toujours recenser et s’efforcer de répertorier différents types de communautés de pratique en fonction d’autres critères : la cohésion, l’idéologie, la popularité, la maturité, les méthodes de communication et les modalités de rassemblement.
On pourrait d’ailleurs identifier une autre perspective pour distinguer deux types de communautés de pratique : à quel point sont-elles ouvertes à l'intégration de nouveaux membres ?
Communautés de pratique ouvertes ou fermées
Le fait qu’une communauté soit fermée découle d’une sélection à l’entrée. Lorsqu’une communauté accueille toutes les personnes qui sont intéressées à participer, elle est dite ouverte.
Il y a une forte probabilité qu’une communauté pilotée structurée sera plus proche d’être fermée qu’une communauté spontanée conservant le caractère informel des échanges au coeur de ses activités et de ses valeurs.
On le comprend, cela soulève des questions quant au caractère volontaire de l’engagement des membres des communautés structurées qui visent à améliorer l’efficacité du fonctionnement des organisations. Le fait que les meilleures éléments de l’organisation pourraient être libres de ne pas s’y impliquer nuirait fortement aux chances d’atteindre cet objectif. Comme l’exprime le guide du CEFRIO en relation avec cette distinction, il y a donc aussi une certaine ambiguïté quant à cette orientation des communautés de pratique (pour une amélioration des performances de l’entreprise). (CEFRIO, Guide, p. 36).
Et il y en aurait d’autres (critères de classification) : inter ou intra-organisationnelle, inter ou intra-sectorielle…. Mais à ce moment là, un peu comme pour le fait d'être ouvertes ou fermées d'ailleurs, il s’agit plutôt de caractéristiques des communautés de pratique que de types.
2.2 Caractéristiques des communautés de pratique
Les principales caractéristiques d’une communauté de pratique sont son extension (ses contours) et sa durée (son niveau de maturité).
Les contours de la communauté de pratique : une limite délibérément floue
Comment tracer les bords de la communauté de pratique ?
Effort pour préciser les contours de la CdP
On commence à le comprendre, le lien qui unit les membres d’une communauté de pratique ne doit pas être que symbolique. Il est important que les acteurs de ce «groupe» aient des intérêts communs réels.
Ce qu’on comprend c’est que les membres d’une communauté de pratique partagent (ont en commune) des préoccupations semblables, en lien avec leur situation. Leur situation concrète les rapproche donc. Et cette situation n’est pas nécessairement géographique. Elle a plus rapport aux types d’activités dans lesquels ils sont engagés.
Qui peut être considéré comme membre actif de la communauté de pratique?
Tout le monde n’est pas tenu de participer au même degré. Le niveau de participation de chacun évolue avec le temps.
Mais il y a un défi à déterminer les limites (les contours ou frontières du groupe) des communautés de pratique surtout lorsqu’elles sont informelles.
Si on revient aux origines historiques de la communauté de pratique, il s’agissait des guildes de métier.
On l’a vu, l’engagement mutuel est ce qui est à l’origine de la communauté de pratique contemporaine. Et cet engagement prend la forme d’une participation dans l’entreprise de constitution de connaissances, ce qui met en jeu des rapports de force entre la participation elle-même et la réification que suppose la fixation de connaissances. Cela se traduit par le développement d’un répertoire partage et le rodage de dispositifs permettant des interactions qui pourront évoluer avec les besoins des membres de la communauté de pratique. Pour les nouveaux venus, le fait que cette culture de la communauté de pratique soit déjà développée incluant des procédures et des modes de fonctionnement plus ou mois formellement établis, cela facilite l’intégration. Ils peuvent ainsi d’emblée participer pourvu qu’ils acquièrent les codes (le langage, les habitudes, les normes) de cette collectivité.
« Cette participation, d’abord périphérique, augmente graduellement avec l’engagement envers la communauté et les interactions avec les autres membres. »
(Henri, La communauté de pratique selon Étienne Wenger, p. 1).
Un des signes qu’une communauté de pratique est vivante est qu’elle favorise la co-existence de participants engagés en son coeur et de participants se tenant davantage à la périphérie.
« Plutôt que de forcer la participation, les communautés vivantes “construisent des bancs” pour ceux qui restent en périphérie; dans cette zone, on cherche à favoriser les interactions et le renforcement des contacts avec le noyau »
Cela nous rappelle la dernière typologie des communautés de pratique proposées : sont-elles des groupes ouverts ou fermés ?
Le cycle de vie d’une communauté de pratique
« Les stades de développement matures de la communauté sont les stades de maturité, du momentum et de transformation.
Ces stades sont caractérisés par la croissance de la communauté, le changement de la relation avec le domaine et l’intégration au sein de l’organisation. »
France Henri présente le stade de la maturité en ces termes : « La communauté définit son rôle dans l’organisation et trouve sa légitimité. Elle n’est plus juste un réseau d’amis professionnels, elle élargit ses frontières. Elle doit gérer sa croissance en s’assurant qu’elle n’est pas détournée de ses intentions et qu’elle s’intéresse toujours aux problèmes ciblés. » (Henri, p. 8).
Mais revenons brièvement sur les stades qui précèdent et qui suivent :
Stade 1 : La découverte des potentialités
Stade 2 : L’unification
Stade 3 : La maturité
Stade 4 : le momentum
Stade 5 : la transformation
[Image tirée du rapport du CEFRIO, que l'on retrouvait également dans l'article de France Henri, « La communauté de pratique selon Étienne Wenger », d'où est extraite la phrase suivante (p. 9): « En résumé, le cycle de vie d’une communauté de pratique l’amène à se définir, à s’organiser et à produire.» (Voir Médiagraphie)]
Des pratiques caractéristiques des communautés de pratique
Comment fonctionne une CdP (communauté de pratique) ?
Des apprentissages sont générés à la faveur de la participation des membres
Importance des échanges informels, de la conversation, du dialogue...
« C’est à travers le dialogue que les connaissances sont exprimées, repérées, identifiées, échangées. Les membres explorent différentes idées, réagissent aux idées des uns et des autres. » (Arcand, 2018)
Les formes que peuvent prendre ces participations sont multiples :
Consulter des ressources dans le «répertoire partagé» (une base de connaissances comme un wiki, un forum, ou une FAQ). Réagir, contester, approfondir. Résoudre des problèmes à travers des discussions en direct (via un chat) ou en différé (au moyen d’un forum encore une fois, ou d’un service de gestion des fils de discussion comme Slack) et autres types d’échanges (par une rencontre de codéveloppement ou une réunion en visio-conférence avec partage de post-it via Miro) ou par des classements de fiches dans Trello. Faire appel à des personnes ressources externes pour nous conseiller sur les aspects que l’on maîtrise moins avec les connaissances disponibles au sein de la communauté de pratique.
Les connaissances sont organisées pour favoriser une mobilisation des membres et leur utilisation
Un encouragement à contribuer activement à la constitution de ces connaissances est nécessaires. Il peut prendre la forme d’une animation par des facilitateurs qui ont un rôle pour motiver les membres à s’impliquer dans les échanges et à apporter leurs lumières, à poser des questions et à faire des recherches. Mais il y aussi une manière d’encourager la participation en organisant les connaissances d’une manière qui répond aux préoccupations de diverses personnes ayant des points de vue différents sur ce qui est pertinent ou le plus important.
Les rencontres pour acquérir des connaissances constituent ainsi comme des nœuds autour desquels se tissent les communautés de pratique.
Les propriétés des dispositifs de communication et de partage d’informations
Fonctions de base d’un environnement technique approprié pour une CdP
Au regard de ces pratiques, on peut comprendre que des dispositifs de gestion de l’information sont utiles, et que les technologies numériques soient particulièrement prisées.
- Communications
- Conservation des connaissances
- Édition collaborative de contenus
- Espaces propices à la délibération collective
Mais qu’arrive-t-il quand le milieu qui nous sert d’environnement est hautement modelé par les NTIC ?
Pour que les technologies soient utiles à la connaissance, elles doivent être interopérables…
Schéma tiré du rapport du CEFRIO sur les CdP (2004)
Les communautés virtuelles en voie de devenir la norme
Les communautés virtuelles ont accaparé une part croissante de l’intérêt depuis 10 ans (l’article fut écrit en 2010, et les CoP en ligne doivent avoir atteint leur sommet de popularité historique avec le prolongement de la pandémie). Nous n’échappons pas à la fascination pour ce phénomène, et c’est aussi – outre le fait que je participe à une CdP en ce Réseau ADN et que les TCA en forment une avec le groupe privé Facebook – pour cette raison que j’écris ce billet de blogue tant pour mon propre blogue (ypenser.net/communautes) que pour celui de la Fédération des TCA (Avenumérique). Et cela s’explique encore une fois parce que le développement rapide et l’intégration de l’internet et du web à toutes les dimensions de nos existences font en sorte que la puissance des communautés de pratique en ligne (ou «virtuelles») se trouve démultipliée. Leur seule limite est qu’on aura le goût de revenir aux rencontres en personne, à force de tout faire en s’en passant.
Les liens entre communauté de pratique et culture numérique
L’utilité des CdP dans le contexte de l’économie du savoir
« Pour l’entreprise, la communauté de pratique représente un élément clé du succès dans le contexte de l’économie du savoir. » (F. Henri, op. cit., p. 3).
D’une certaine façon, l’«économie du savoir» a triomphé partout en s’appuyant sur les progrès rapide de l’informatique en réseau (et accélérées par le développement de la fibre optique notamment). Or, il s’agissait en partie d’un détournement de l’idéal des Lumières au profit de l’idéologie néo-libérale triomphante, et qui ne valorise pas la connaissance par et pour elle-même mais uniquement dans la mesure où elle permet d’apporter un accroissement des performances sur le plan de la rentabilité (considérée à tort comme le corrélat direct de la productivité).
Il se peut que la culture numérique soit en partie corrompue par cette soif de croissance sans limite des profits. Elle en est contemporaine et elle lui est consubstantiellement liée, tant dans son développement accéléré depuis les trente dernières années que dans ses prémisses qui découlent des modernisations accélérées des processus selon les principes du taylorisme après la deuxième guerre mondiale et en relation avec l’évolution de l’informatique. La capacité d’analyse les moindres aspects d’une tâche se sont traduits par la robotisation des usines et nous sommes maintenant aux prises avec une crise du travail. Mais on continue de croire que les profits vont pouvoir se poursuivre indéfiniment du moment où l’innovation va continuer de s’accélérer étant donné que des ordinateurs de plus en plus puissants aident toujours les cerveaux avides de gains des hommes à repousser le frontières de l’inatteignable prouesse technique. C’est une utopie qui appelle une critique rationnelle. La culture numérique n’a pour l’instant pas encore la maturité de cette critique. Mais les communautés de pratique pourraient à la fois servir l’idéologie dominante qui valorise la croissance à tout prix et le remède contre cette folie, soit une prise de conscience authentique de l’absurdité de cette course effrénée aux profits.
Une manifestation de la culture de la collaboration
La possibilité d’interagir plus facilement grâce aux TIC entraîne une probabilité élevée que les collaborations se multiplient dans une société dont les acteurs sont connectés au moyen d’internet. Société en réseau. Théorie de l’acteur réseau. Ce n’est pas une nouveauté absolue avec le web. Le téléphone permettait déjà certaines formes de transformation du monde du travail. Mais les bonds de géants effectués grâce à l’invention du web et des courriels, ainsi que des téléphones cellulaires justement, font que les individus sont maintenant libres de s’engager dans plusieurs projets, professions, passions et peuvent les mener de front car ils peuvent régler des problèmes pendant leurs déplacements en transports en commun, faire de la veille informationnelle automatisée, recevoir des notifications pour leur rappeler les tâches à accomplir en lien avec les différentes facettes de leur vie. Cela permet de libérer du temps et d’ouvrir des possibilités pour l’engagement dans des causes qui nous tiennent à coeur et où la clé du succès dépend de la mobilisation de plusieurs acteurs.
Le rapport avec l’intelligence collective
Comme je l’exprimais plus tôt, en évoquant et les différents types de communautés de pratique virtuelles (et le fait que toutes les communautés de pratique sont «virtuelles» d’une certaine façon), le lien le plus profond et pertinent entre le développement de communautés de pratique (ou de communautés d’apprentissage en général) et la culture numérique tient en la mobilisation de l’intelligence collective qui est la finalité et la source de la motivation des acteurs qui s’engagent dans ces processus de mise en commun des connaissances. La beauté de cette facette de la culture numérique (la culture de la collaboration) - qui est mise de l’avant à travers ces initiatives (qui misent sur le réseautage) - est qu’elle permet aussi la création de connaissances inédites qui n’auraient pas pu émerger de manière aussi efficace dans les contextes d’enseignement conventionnels.
La culture du libre et les communs de la connaissance
Comme je le soulignais plus tôt, un des enjeux
éthiques qui découlent de l’association étroite entre les
dispositifs techniques et les dynamiques de partage d’expériences
et de documents constitués en collections qu’on structure pour les
rendre utilisables par un maximum de participants, c’est le choix des logiciels et formats
utilisés pour la production de ces dépôts de connaissance. Il est
important de privilégier les logiciels libres et les formats
ouverts. Et cela est cohérent avec le mouvement pour la création de
communs de la connaissance qui encourage aussi l’application de
licences libres (copyleft) sur ces fruits d’un travail
collectif.
Transition
Maintenant que nous avons vu en quoi consistent les communautés de pratiques, quels sont les rapports entre communautés de pratique et gestion des connaissances, ainsi que les liens entre communautés de pratique et culture numérique, nous allons pouvoir examiner plus attentivement quelques exemples de communautés de pratique.
2.3 Des exemples de Communautés de pratique
Nous pourrions donner directement des exemples de communautés de pratique dans le domaine des médias, mais il est important de montrer qu’elles ont leur place dans de nombreuses sphères d’activité. L’esprit d’initiative et l’intérêt pour le développement de nouvelles connaissances par d’autres voies que les apprentissages formels sont les ferments du développement des communautés de pratique et ils existent dans tous les secteurs d’activité, de l’administration publique et la création artistique en passant par l’éducation et l’agriculture urbaine.
Santé
Q-CROC : Recherche clinique en oncologie – Québec
Ont mis en place plusieurs communautés de pratique depuis 2018 :
Thoracique (Résot), Pédiatrique, Hémato-oncologie, Colorectal
https://qcroc.ca/communautes-de-pratique/
Éducation
CoP Écrit du groupe de recherche sur la scolarisation Périscope : https://www.periscope-r.quebec/fr/content/1-guider-laction-par-differents-moyens
Communauté de pratique de l’école branchée (CoP-ÉB) : « Enseigner à l’ère du numérique » https://ecolebranchee.com/prod...
Développement social
Communauté de pratique du RQDS
RQDS = Réseau québécois du développement social
Culture et numérique
Réseau ADN : https://reseauadn.ca
En place depuis 2019 (en lien avec la mesure 120 du Plan culturel numérique du Québec)
https://culturenumeriqc.qcnum....
Communauté de pratique numérique : Par Québec spectacles et le Conseil de la culture pour les acteurs culturels oeuvrant dans le milieu du spectacle et voulant s’approprier les outils numériques
https://communaute.culture-que...
Passerelles Un réseau social pour les communautés de pratique
https://passerelles.quebec/inf...
Communauté Adobe du Quebec
https://www.facebook.com/pg/Ad...
Engagement communautaire
Ateliers des savoirs partagés
Phase 1 : http://recitsrecettes.org/
Phase 2 : https://ptitbonheur.org/
Agriculture
Invitation à rejoindre la communauté de pratique du développement et de la planification économique dans l’agriculture de l’Ontario
https://cfontario.ca/index.php...
Film sur la communauté des praticiens des marchés de gros pour l’Amérique du Sud et les Caraïbes (piloté par la FAO et la FLAMA) [Voir Médiagraphie]
Nous verrons d’autres exemples de communautés de pratique dans des domaines impliquant de l’innovation (recherche en sciences humaines). Mais nous vous avons fait patienter assez longtemps. Il est temps de voir des exemples de communautés de pratique dans le domaine des médias.
Dans le domaine des médias et du journalisme
Malheureusement, la majorité des exemples que nous avons trouvés dans ce secteur ne sont pas québécois. Mais il y en a tout de même quelques uns qui sont issus de la francophonie.
Radio
Coopérative radiophonique de Toronto, qui gère CHOQ.FM
Zaahirah Atchia, directrice générale de la Coopérative radiophonique de Toronto : «il est important pour les radios communautaires de composer avec le fait digital et de se doter d’expertise en matière de conception, de rédaction, de gestion et de marketing».
Journalisme
FPJQ
Si on cherche des communautés de pratique qui se désignent comme telles dans le domaine des médias, on n’en trouvera pas facilement. Mais si on se réfère à l’origine des communautés de pratique qui est liée aux guildes de métiers, on pensera aux fédérations de journalistes, comme la FPJQ au Québec, ou à la Guilde canadienne des médias au Canada. Cette dernière offre des formations à ses membres et les invite à se mobiliser. Elles renseignent les membres sur leurs droits. Elle présente un lien vers la Fédération internationale des journalistes. Mais elle ne semble pas entretenir un intranet où les membres pourraient échanger. Un exemple de formation offerte récemment : présentée sur la page Facebook : « À la lumière des récentes attaques contre les travailleurs des médias aux États-Unis, la NewsGuild-CWA organise un atelier par vidéoconférence sur la collecte de nouvelles dans un environnement hostile. » D’une durée de 90 min. elle avait lieu le 16 janvier.
Sur Facebook, la FPJQ annonçait récemment la nomination de Martine Desjardins comme directrice générale. Mais a-t-elle un groupe privé où ses membres peuvent discuter entre eux comme la Fédé? Des groupes de journalistes sur Facebook il y en a plusieurs. Souvent il s’agit de regrouper des journalistes d’une même ethnicité. Mais il y en a aussi qui ciblent la discussion autour d’enjeux reliés au métier comme Journalistes & Pigistes francophones. Avec 24 600 membres, cet espace est-il approprié pour leur permettre de produire des connaissances ensemble? On peut imaginer que non. Car les échanges sont rapidement perdus dans le fil des discussions.
Il y a surtout des personnes qui proposent leurs services, des demandes de dépannage. Quelques partages de tests pour mettre à l’épreuve ses capacités en rédaction comme celui-ci https://unmondesansfautes.blogspot.com/p/le-present-de-lindicatif-et-moi-test.html
Il y a aussi des appels à la mobilisation. Est-ce que le fait que les contenus de ce groupe soient affichés publiquement (pour les abonnés Facebook) disqualifie ce groupe comme communauté de pratique? Est-ce qu’il y a un nombre de membres au-delà duquel il n’est plus possible de constituer des connaissances collectivement?
SPJ Freelance Community
Communauté de la Society of Profesionnal Jouralists dédiée aux journalistes indépendants
https://www.spj.org/freelance.asp
Ils ont un groupe Facebook : https://www.facebook.com/groups/1165099060181080
Les activités auxquelles ce groupe est voué sont : échanger des bonnes idées, s’encourager mutuellement, en lien avec leur domaine de pratique, le journalisme indépendant ou le métier de journaliste pigiste.
Le Réseau Informel des Journalistes du Burkina
Le Faso.net en fait mention ici avec un lien vers le blogue : https://lefaso.net/spip.php?article23365
Les assises du journalisme
« la manifestation se veut avant tout un lieu d’échange et de réflexion sur le journalisme et sa pratique, indépendant de toute tutelle. Un lieu ouvert aux journalistes et aux éditeurs, aux étudiants et enseignants, aux chercheurs, mais aussi et surtout aux citoyens»
Le journalisme mobile
Le journalisme à l’heure des technologies hyper mobiles
https://www.facebook.com/group...
Le journalisme ouvert
OpenNews
OpenNews met en relation in réseau de développeurs, de designers, de journalistes et d’éditeurs pour collaborer sur des technologies et processus ouverts au sein du journalisme. OpenNews est convaincu qu’une communauté de pairs travaillant, apprenant et résolvant des problèmes ensemble peut constituer un écosystème favorisant un journalisme plus fort, plus adapté et ascendant.
Les évènements SRCCON, rassemblement phare des membres, se produisent depuis 2014.
Ils ont été «incubés» par la Fondation Mozilla de 2011 à 2016 et sont devenus un projet de Community Partners en janvier 2017 : https://communitypartners.org/project/opennews
Open Newsroom*
Une vraie communauté de pratique pour les journalistes et la culture numérique sur Facebook.
Créé le 4 septembre, 2017, le groupe comporte 2 300 membres francophones et anglophones (et autres). Il se présente comme suit : «Salle de rédaction "à ciel ouvert", pour partager nos bons liens et découvertes en matière de journalisme et de culture numérique, ainsi que l'avancement des projets sur lesquels nous travaillons.» Il est géré par Damien Van Achter. Je fais maintenant partie du groupe.
https://www.facebook.com/group...
* À ne pas confondre avec Open Newsroom qui a donné lieu à Storyful, racheté par Newscorp. C’était initialement une communauté de pratique sur Google+. C’est maintenant une agence de presse et d’«intelligence» (veille informationnelle stratégique).
Télévision communautaire publique
Public Media Community Television and Radio data node : https://www.reddit.com/r/PublicMedia/
Journalisme féministe
No.1 Freelance Media Women
Nous fut signalé par le recensement d’Abigail Edge dans Journalism.co.uk, de 2015, sous le nom No.1 Freelance Ladies Buddy Agency. Fondé initialement pour que des journalistes pigistes puissent se soutenir et s’entraider, et des études de cas concernant des références à des sources et experts pour leurs reportages et articles, son succès a fait que la communauté s’est diversifiée. Ils et elles sont plus de 6 800 en février 2021. Les photographes, les designers, les rédactrices et les relationnistes de presse sont accueillis de même que les personnes qui veulent offrir du travail. https://www.facebook.com/groups/34202964965
Autres métiers des médias
Le monde des médias inclut de nombreux autres métiers comme les designers et infographes, les photographes et caméramens, les monteurs et les autres techniciens. Ce sont aussi les réalisateurs, les relationnistes de presse, les recherchistes, les responsables des communications, dont les animateurs de communautés … et les animateurs d’émissions, lecteurs de nouvelles, etc. Sans oublier leurs assistants, les artistes visuels qui font les décors, les maquilleurs, etc. (en télévision). Et il y a de plus en plus de journalistes qui doivent aussi filmer, faire le montage, l’infographie et les communications...
Les exemples suivant sont uniquement des groupes Facebook. Ils ne sont pas associés à une organisation qui aurait parrainé leur mise sur pied. Dans la mesure où il s’agit de communautés de pratique, il s’agit donc de communautés de pratique spontanées.
Vidéastes du Québec
https://www.facebook.com/groups/661582504665454
552 membres. Administré par Karine.
«J'ai eu envie de créer ce groupe pour permettre aux vidéastes du Québec de pouvoir connecter entre eux. Pas juste sur le web, mais en vrais [sic] aussi !
- Créer des projets communs - Nous entraider dans nos projets personnels ou professionnels - Partager nos connaissances - Vivre des aventures ensemble, pourquoi pas - Partager vos vidéos pour avoir une critique honnête et constructive. - Demander conseil et de l'aide de toute sorte »
On voit que cela correspond bien aux visées d’une communauté de pratique.
Que dire de celui-ci ?
Monteur vidéo
3 800 membres
« Ce groupe à été créé pour échanger vos astuces, solutions, conseils mais également pour la promotions et recherche de projet. »
On le voit, l’autopromotion et la recherche d’opportunités de travailler sont ici valorisées au moins autant que le partage de connaissances, sinon plus.
Réseau Gaspésie (Vidéo, Cinéma & Télévision)
En Gaspésie il y a un groupe Réseau Gaspésie (Vidéo, Cinéma & Télévision)
https://www.facebook.com/group...
TVCE (TCA de l’Estran) en fait partie.
TVCM (Matapédia) aussi.
Télé Gaspé, ancien membre de la Fédé, y est également.
Le savoir et la recherche
Les WikiClub de Wikimédia Canada https://ca.wikimedia.org/wiki/...
Mais aussi les personnes engagées dans les projets de Wikimedia : https://www.wikimedia.fr/les-p...
Les ateliers de [sens public]
https://ateliers.sens-public.o...
De nombreuses communautés de pratique de type «piloté» ont été implantées dans les milieux de l'entreprise, pour favoriser l'innovation, et dans l'administration publique, pour faciliter la diffusion et l'adoption des meilleurs pratiques. La recherche de l'efficacité cohabite toujours avec la poursuite d'un meilleur développement professionnel et épanouissement personnel pour les membres.
Conclusion : les communautés de pratique doivent être cultivées comme un jardin collectif
« Le gestionnaire devient un “jardinier des connaissances” qui doit préparer un terrain fertile pour que les communautés puissent s’épanouir. » (Cohendet et al., op. cit., p. 33)
Je trouve pertinent de terminer cet article en revenant à la question de la définition de ce que sont les communautés de pratique. Selon le site du SACO :
Les communautés de pratique sont des groupes de personnes qui interagissent régulièrement pendant une période prolongée afin de partager des préoccupations communes, de consolider leur expertise et de développer de nouveaux savoirs. Elles constituent des communautés naturelles d’apprentissage pouvant se constituer de diverses manières. Certaines sont interdisciplinaires, alors que d’autres sont plutôt associées à une problématique ou à un secteur d’activité. Elles peuvent regrouper des personnes d’une même organisation ou des personnes de plusieurs organisations.
Comme on le voit, c’est clairement possible d’envisager une communauté de pratique pour les médias communautaires dans leur ensemble. Mais il est aussi possible d’en constituer des plus spécifiques, une pour les journalistes et recherchistes (élargie ou non à l’ensemble des médias communautaires), une pour les monteurs (associée ou non à celle des monteurs audio des radios), une pour les autres techniciens (cameramen, techniciens du son, régisseurs; encore une fois élargie ou non), une pour les animateurs et autres personnes qui réalisent des entrevues (mais on revient alors aux journalistes), une pour les directions et les réalisateurs?…
Le fait que les personnes réunies vivent des situations semblables rend la communauté de pratique d’autant plus pertinente. Mais on voit qu’il est plus avantageux de constituer une communauté de pratique inter-disciplinaire, car sinon on segmente les processus de travail en trop de parties, alors que la réalité est que tous ces acteurs doivent se parler. Et l’idée c’est d’apprendre les uns des autres.
Dans ce contexte, les communautés de pratique sont présentées, au même titre que les groupes de codéveloppement, comme un des objectifs qui peut être poursuivi lorsqu’on entreprend un démarche de transfert et d’utilisation des connaissances.
Les bénéfices associés aux communautés de pratique
« Les avantages liés à la participation à des communautés de pratique dans les organisations sont a priori multiples : une augmentation des aptitudes et du savoir-faire du personnel, une augmentation de la productivité, une plus grande collaboration de même qu’une amélioration de l’efficacité, de la rentabilité opérationnelle et de l’intérêt au travail. » (Cohendet et al., op. cit., p. 33)
Les avantages de la CoP sont de favoriser les interactions, de permettre aux praticiens de bénéficier des découvertes des chercheurs et aux chercheurs de bénéficier des insights directs que leur donne l’accès aux témoignages de premières main des acteurs du terrain. Et de manière générale cela permet à l’ensemble des participants de développer un langage commun pour se doter de repères et articuler des connaissances autour de ces notions.
Le groupe dépend de l’implication d’individus qui demeurent libres de leur degré d’attachement au groupe
« Bien que le rapprochement soit caractéristique des communautés, l’expérience qu’en fait chacun de ses membres demeure individuelle. » (Idem). « Par ailleurs, les membres doivent composer avec la complexité croissante de ces appartenances multiples. Ils doivent leur trouver un sens tout en préservant leur propre sentiment d’identité. »
1Savoirs qui sont plus facilement appropriables par les acteurs de ce secteur impliqués dans cette communauté puisqu’ils ont eux-mêmes contribué à les élaborer en se référant à leur expérience et en échangeant avec leurs pairs, renforçant par la même occasion leur identité professionnelle, notamment en faisant évoluer le langage qu’ils peuvent utiliser pour parler de leur champ d’activité.
Retour au billet du blogue Avenumérique présentant l'idée de cette publication et ses deux parties actuelles : Les communautés de pratique, une avenue à explorer pour les TCA
Retour à la partie 1. Qu'est-ce qu'une communauté de pratique ?
Rappel : deux autres parties sont à venir (plus les annexes) :
Partie 3: Pertinence pour les TCA de former une communauté de pratique (à venir) [effleuré dans la conclusion ci-haut]
Partie 4: Des outils pour la mise sur pied d'une communauté de pratique (à venir) [abordé dans une des annexes (à venir)]